Ne faites pas cavalier seul.

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Ne quittez pas votre emploi de jour

par Alan Willaert, vice-président de l’AFM pour le Canada

La campagne visant à obtenir la rémunération des musiciens qui devaient se produire au festival BreakOut West d’Edmonton cette année a donné lieu à trois semaines d’entrevues radiophoniques, de couverture dans les médias imprimés et en ligne et de débats sur les réseaux sociaux, avec pour résultat une grande polarisation de l’opinion publique. La plupart des articles ont présenté avec justesse le point de vue de la FCM et des organisateurs du festival, et l’idée qu’on devrait rémunérer les musiciens pour leurs prestations aurait dû primer clairement dans les sondages d’opinion publique. D’autant plus que la population s’est rangée derrière l’idée d’un salaire minimum équitable comme mesure de justice sociale.

Pourtant, des arguments complètement absurdes (à mon sens, du moins) contre une rémunération équitable sont venus teinter le débat et me poussent aujourd’hui à prendre la parole pour rétablir les faits. Pour une raison que je m’explique mal, une partie des médias – et, par ricochet, leur lectorat – ont adhéré à ces arguments grotesques. Je pense qu’il vaut la peine de les mentionner pour que vous puissiez mesurer l’odieux de la situation.

Les organisateurs du festival ont notamment fait valoir que les musiciens étaient en fait déjà rémunérés pour leur prestation par l’entremise de subventions du gouvernement provincial ou de leur association et, dans certains cas, de la Found-
ation Assisting Canadian Talent on Recordings (FACTOR). Selon eux, il s’agit du « modèle » d’avenir. Cette allégation était généralement suivie d’une affirmation du genre « Les musiciens avaient auparavant besoin d’un syndicat, mais ce n’est plus le cas maintenant ».

J’estime qu’il s’agit d’un des arguments les plus absurdes que j’aie jamais entendus. L’idée que les musiciens ne devraient plus embêter leur employeur avec des questions sans importance comme les honoraires et les régimes de retraite et plutôt s’occuper de demander des subventions pour pouvoir survivre dans l’industrie musicale frôle le ridicule. Seul un employeur peut avoir l’audace de suggérer une telle chose, et les musiciens sont bien le seul genre de travailleurs capables d’y accorder une once de crédibilité. Imaginez ce que vous répondrait un acteur, un réalisateur, un scénariste ou un machiniste si vous lui disiez qu’il ne devrait plus s’attendre à ce que le producteur du film le paie pour ses services, mais qu’il devrait plutôt demander des subventions gouvernementales pour subvenir aux besoins de sa famille.

En ce qui a trait au jugement de valeur sur l’utilité de l’AFM, il repose sur une rhétorique qui ne date pas d’hier. Tous les employeurs l’utilisent pour dissuader tous les membres de tous les syndicats du Congrès du travail du Canada (CTC). C’est un des piliers de l’attaque perpétuelle contre le mouvement syndical, à la sauce de droite.

La presse a également laissé entendre que les musiciens devraient pouvoir choisir de faire don de leurs services, ou encore que l’ensemble du festival devrait être considéré comme une vaste audition plutôt que comme une prestation. Cette idée mériterait peut-être considération s’il était question d’un organisme caritatif au lieu d’une machine bien huilée qui a délibérément pour politique de payer toutes les personnes qui participent au festival à l’exception des musiciens (qui sont, faut-il le mentionner, le coeur même de l’événement).

De plus, ces « prestations » non rémunérées ont lieu dans des salles qui réalisent d’immenses profits sur la vente d’alcool. Ces salles, qui devraient en temps normal payer pour ces prestations, profitent gratuitement de la présence des groupes de musique pendant le festival. Et pour ce qui est de l’argument voulant que le festival soit une audition, je dis non. Les véritables auditions se déroulent dans une salle privée devant une poignée de personnes. Elles n’ont pas lieu là où des spectateurs dansent, où des billets sont vendus et où la bière coule à flots. On passe une audition pour trouver du travail, et non pour avoir la chance de se produire gratuitement dans un festival, puis dans un autre. Et sachez qu’il n’y a pas de représentant de maison de disque qui vous attend à 2 heures du matin dans un bar d’Edmonton pour vous faire signer un contrat.

En terminant, comment passer sous silence l’immense cadeau offert aux musiciens par le festival : un bracelet ou, en d’autres mots, une passe gratuite pour assister à votre propre spectacle. Selon mes calculs sommaires, chaque groupe dépense des centaines de dollars pour se déplacer, se loger et se nourrir, mais ne se fait même pas offrir le prix du stationnement.

Au final, les festivals qui ne paient pas les musiciens qui s’y produisent n’ont aucun respect pour l’industrie de la musique. S’ils s’en souciaient le moindrement, ils reconnaîtraient que les musiciens sont un élément fragile de l’écosystème musical. Ils en sont en quelque sorte les racines, et doivent être nourris et protégés pour qu’une carrière musicale demeure une option viable. Les festivals choisissent plutôt de bâtir une industrie qui pèse plus lourd dans le produit intérieur brut que les secteurs des mines et du bois d’œuvre combinés, mais qui n’offre pas pour autant un gagne-pain viable aux musiciens.

On peut en conclure que le festival BreakOut West a transmis aux musiciens un message d’une grande sagesse, un message lourd de sens : ne quittez pas votre emploi de jour.